POURQUOI BATZ-SUR-MER ET NON GUERANDE ?

Prenez une carte des marais salants. La forme est irrégulière mais pointez le milieu au jugé. Vous ne pointerez jamais à plus de 300m de nos marais.

-         Nous sommes au milieu du bassin de Batz-Guérande, au cœur de l’aire géographique de l’IGP Guérande

-         Nous entretenons nos marais dans les mêmes conditions que nos ancêtres les plus lointains sans mécanisation, pas même une pompe,

-         Nous récoltons notre sel selon la technique la plus ancestrale,

-         Puis nous le mettons en sac sans aucune mécanisation, seulement avec l’énergie de nos bras.

Et bien non, nous ne sommes plus du sel de Guérande. Nous choisissons de ne pas être du sel de Guérande à cause d’une IGP conduite par une coopérative trop hégémonique.

Cela nous permet de revendiquer et de faire connaître le village sur lequel nous vivons et travaillons : BATZ-SUR-MER qui nous semble tellement plus authentique que Guérande.

Comment en est-on arrivé là ? Je meurs d’envie de vous l’expliquer mais j’ai peur d’être aussi long et ennuyeux qu’un ancien combattant sous prozac.

 

Voici un résumé. 

Encadrés pendant des années par un monopole d’état, les paludiers ont été peu habitués à vendre leur sel par eux-mêmes.

Au XXème siècle, la fin de ce monopole, l’arrivée du sel industriel et des techniques frigorifiques ont failli être fatales au marais. Les derniers professionnels étaient des indépendants, ils vendaient leur sel par eux-mêmes. Il restait aussi quelques paludiers qui faisaient cela en plus d’un autre métier, et qui livraient leur sel au négoce.

Un grand projet immobilier provoqua une réaction. Les enfants des derniers paludiers accompagnés d’enfants de 1968, réagirent en réoccupant et cultivant le marais. Ils sensibilisèrent les médias. La qualité de notre sel fit le reste, il devint connu et apprécié sous le nom de Guérande.

Ce rebond attira une multinationale : les Salins du Midi. Ils achetèrent le plus gros négociant local. Les nouveaux paludiers réagirent en rentrant dans la coopérative et en prenant le contrôle. La multinationale et la coopérative se sont livrées une guerre à mort. Le principal coup tenté par la coopérative fût d’essayer de s’approprier le mot de Guérande par une Indication Géographique Protégée, comme la réglementation le permettait à l’époque. La multinationale contre-attaqua plus qu’efficacement et tout fût bloqué. Personne ne gagna cette guerre. 

Plus tard, les relations s’apaisèrent, la coopérative et la multinationale s’entendirent pour la mise en place d’une nouvelle Indication Géographique Protégée qui, sans être une stricte appropriation, conforte leur situation dominante et lèse les indépendants.

Bien soutenus par les paludiers apporteurs de négociant, les indépendants (votre serviteur en tête) réagirent en proposant une Appellation d’Origine Protégée plus respectueuse des pratiques artisanales. Mais mal préparés, mal organisés et surtout sans réseau d’influence dans le domaine des Appellations d’Origine, la contre-proposition fut balayée. D’âpres négociations permirent de rendre le cahier des charges de l’IGP moins défavorable aux indépendants, sans pour autant interdire les pratiques industrielles pour ce qui concerne le séchage et le conditionnement.

Néanmoins l’IGP reste un outil des grosses structures pour contrôler les petites. Elle leur permet d’être informé en temps réel et d’alourdir à souhait leurs charges techniques et financières.

Nous choisissons d’y échapper et nous sommes finalement heureux de revendiquer Batz-sur-Mer pour notre sel. C’est un village côtier charmant dans lequel nous vivons et travaillons. Il y a plus de marais salants sur Batz-sur-Mer que sur Guérande. Il mériterait d’être plus connu, mais il est préférable qu’il ne le soit pas pour ne pas attirer les gros ambitieux.

 

Vous ne dormez toujours pas ? Vous voulez des détails ? Il y en a plus long ensuite. C’est une forme d’histoire récente du marais, histoire toute subjective qui prend le point de vue d’un petit indépendant. C’est aussi une manière de mesurer les tracas d’un paludier face aux grandes manœuvres des lobbies.

 

 

I – LA « PREHISTOIRE » DU MARAIS, COMME UN CONTE

 

Il était une fois un marais merveilleux, qui depuis des siècles, faisait l'un des meilleurs sels du monde. Les paludiers étaient tellement consacrés à leur tache, qu'ils ne se souciaient pas de vendre leur sel. D'ailleurs, ils n'en avaient pas besoin puisque le roi lui-même s'en chargeait, ce qui, au passage, lui procurait de grandes richesses.

Le sel était très précieux. Il était aussi le seul moyen de conserver bon nombre d'aliments et d'éloigner la perspective, tant redoutée, de la famine.

Mais l'aire industrielle est arrivée. Les machines ont envahi le monde. Les réfrigérateurs ont rendu le sel inutile pour conserver la nourriture. Loin du marais, les machines permettaient de faire un sel plus blanc, plus sec, plus propre.

Le sel du marais restait bien meilleur que le sel des machines, mais les gens trompés par l'apparence le délaissèrent. La république qui succédait au roi renonçait elle-aussi à le vendre.

Les paludiers aimaient leur marais mais ils ne parvenaient plus à vendre leur sel. Des grands marchands leur achetaient si peu cher que la pauvreté s'installa. Petit à petit, le marais merveilleux fut abandonné, presque complètement abandonné.

Un jour, un ministre de la république, voyant le marais, s'écria : « Pourquoi ne pas faire ici une marina pour les vacances ? » Autant dire la disparition du merveilleux marais et de son sel.

Mais les enfants des paludiers se sont révoltés : « Maman, papa pourquoi est-ce qu'ils veulent tuer notre marais ? Ne fait-il pas en plus le meilleur sel du monde ? » N'attendant pas la réponse, ils appelèrent leurs copains des villes et, ensemble, ils manifestèrent. Ils criaient, bravaches, « NON, notre marais n'est pas abandonné, regardez, nous faisons le meilleur sel du monde. » Et joignant le geste à la parole, tous, enfants des paludiers et copains de la ville, se remirent à cultiver le marais.

Assez rapidement, le ministre compris son erreur et protégea le marais contre toute construction. Mais rien ne fut simple, le sel, pourtant si bon, se vendait toujours aussi mal. Les gens ne savaient plus qu'un sel gris était meilleur qu'un sel blanc.

Alors tous dirent : « Donnons un nom à notre sel afin qu'on le distingue et qu'on puisse dire à tout le monde qu'il est très bon. GUERANDE, appelons le Guérande ». Et ça a marché, partout troubadours et ménestrels de la gastronomie vantèrent le sel de Guérande, et dans les maisons, les gens redécouvrirent ce sel savoureux.

Pourtant, les grands marchands n'augmentèrent pas le prix d'achat, retenant toute la richesse pour eux. Les nouveaux paludiers, enfants de paludiers et copains des villes, étaient passionnés mais pauvres.

Quelques-uns d'entre eux décidèrent d'essayer de vendre eux-même leur sel. Ils se mirent sur les marchés ou au bord des routes. Ils rencontrèrent des clients amoureux du sel et du marais, des particuliers comme vous, mais aussi des cuisiniers, des boulangers voire même des petits revendeurs. Ils devinrent indépendants. Leur situation s'améliorait mais c'était un autre travail et d'autres soucis. . Et la plus grande part des paludiers considéraient cela comme une déchéance.  

Plutôt que de mourir de leur fierté, ils eurent une autre idée : regrouper leur sel et embaucher des vendeurs. La coopérative était née. Ce ne fut pas facile. Il y avait tant de sel que les vendeurs ne pouvaient se contenter de le proposer sur les marchés. Au début ils ne pouvaient faire autrement que de continuer à vendre aux marchands. Mais petit à petit, ils rencontrèrent les gros clients et purent complètement s’en passer. Aussi lentement qu'inéluctablement, leur situation s'améliorait.

Et une longue période de bonheur aurait dû s'installer sur le marais. Mais le conte s'arrête là. La suite est moins simple.

 

II - PUIS LA GUERRE DES GEANTS

 

D’abord une révolution locale…

Disons-le, au départ la coopérative était un peu « ramolichonne du bas-ventre ». Il s’agissait plus d’un organisme de stockage qui permettait aux négociants d’avoir un approvisionnement régulier. 

A la fin des années 80, la coopérative se radicalisa en « groupement de producteurs » interdisant à ses membres de vendre eux-mêmes leur sel de quelque manière que ce soit. Ils peuvent racheter des paquets de sel de la coopérative et les revendre, mais ce n’est plus (uniquement) leur sel…

Cette radicalisation ne s’est pas faite sans douleur. Des figures locales valeureuses ont été évincées. D’un autre côté, il s’agissait aussi d’une rupture avec le néo-féodalisme local où le seigneur était le négociant, qui était grand propriétaire de marais et aussi maire de sa commune. Enfin aucune tête n’est tombée (physiquement !).

Avec cette nouvelle coopérative, les négociants voyaient leur approvisionnement se tarir. Ils furent obliger d'augmenter leur prix d'achat. Habilement, ils permirent aux paludiers qui continuaient de les livrer d'améliorer leur situation. Ce fut à peine plus vite que les paludiers de la coopérative, mais...  plus vite. La jalousie n’atténuait pas les dissensions.

 

Puis un conflit d’envergure nationale

Parmi les négociants, il en est arrivé un beaucoup plus gros que les autres, les Salins du Midi. Il possédait déjà la totalité des marais salants du sud de la France et d'un grand nombre de pays méditerranéens. Malgré une farouche opposition locale, ils sont parvenus à racheter un négociant, d’abord en faisant appel à un prête-nom étranger. Aujourd’hui, notre marais ne représente qu'une part infime de son industrie.

Ce grand négociant et la coopérative ont d’abord travaillé ensemble puisque les Salins du Midi façonnaient le sel moulu de la coopérative, en échange de quoi la coopérative fournissait les Salins du Midi en gros sel. Puis ils se sont livrés une guerre à mort. A eux deux, ils rachetèrent tous les autres négociants.

De son côté la coopérative abordait le marché des grandes surfaces et elle embauchait des directeurs commerciaux. C’était la fin de l’innocence. Ils étaient issus des grandes écoles de commerce et avaient déjà fait leurs armes chez des grandes marques de la grande distribution.

Mettant en œuvre leurs matoiseries habituelles, ils tentèrent de s’approprier le mot Guérande en profitant de la réglementation des appellations d'origine. A cette époque cette réglementation permettait à une structure de s’approprier une appellation. (Le Bleu de Bresse et les Poulets de Loué en sont des exemples). La coopérative était vraiment sur le point d’y parvenir.

Mais les Salins du Midi contre-attaquèrent. Ils utilisèrent leurs relations en faisant éditer un décret qui définissait des normes chimiques du sel alimentaire. Ces normes étaient sur mesure pour le sel industriel, mais elles interdisaient tout simplement à notre sel d'être vendu pour l'alimentation et de porter même le nom de « sel ». Fort heureusement, l'administration ne fit jamais appliquer cette nouvelle loi à notre sel ni aux autres sels artisanaux français. Nous étions bien loin d'avoir le pourcentage de chlorure de sodium requis. En revanche, il lui devenait impossible de prétendre à une appellation d'origine. Les appellations d’origine sont réservées aux produits (officiellement) alimentaires. Il était donc impossible pour la coopérative de s'approprier le mot Guérande.  La situation s'est ainsi gelée pendant plus d'une décennie.

 

Je me suis installé au début de cette période.

J'avais passé la vigueur de la post-adolescence et j'avais peur de ne pas être physiquement à la hauteur du marais. Plutôt que de faire du volume, j'ai choisi de valoriser mon sel, de le vendre par moi-même. J'ai donc choisi d'être complètement indépendant, de la coopérative comme du négociant, mais surtout, indépendant de la grande distribution.

Pendant plus de 10 ans, dans une paix relative liée à cette guerre froide entre les géants, nous avons, comme les autres indépendants, vendu du sel que l'on disait "de Guérande". Guérande appartenait à tout le monde.

 

III – LES GEANTS ENSEMBLES CONTRE LES INDEPENDANTS


A - LES ILLUSIONS PERDUES


Le rêve d’une AOP

Ma mère est de Batz-sur-Mer mais j’ai grandi en Haute-Savoie. J’ai vu l’impact de l’AOC Reblochon. Des familles d’éleveurs se sont déchirées pendant la seconde guerre mondiale. Le maquis des Glières est au sommet de la vallée de Thônes. En revanche, ils ne sacrifiaient pas leur intérêt commun pour de vieilles querelles. Ils ont su se mettre autour d’une table et mettre en place une AOP où tout le monde a sa place, aussi bien les coopératives que les négociants et les fermiers qui font leur fromage à la ferme, en donnant naissance au mythique Reblochon fermier (pastille verte). 

Je rêvais d’une AOP pour notre sel. Je me suis investi dans l’Association Française des Producteurs de Sel récolté Manuellement. Il s’agissait de sensibiliser les autorités pour que notre sel soit de nouveau reconnu alimentaire, première étape…. Hélas ce fût la première étape vers l’IGP (Indication Géographique Protégée) qui, adaptée aux produits plus industriels, respecte beaucoup moins les petits producteurs indépendants.

Notre sel retrouve sa reconnaissance « alimentaire ».

Il y a des journées qui marquent : le 25 avril 2007. C'était un mercredi, un jour déjà chargé. Et ce jour là, la nouvelle est tombée au Journal Officiel : notre sel était de nouveau reconnu de qualité alimentaire. A première vue, cela était une bonne nouvelle, mais la coopérative était prête à faire feu : le cahier des charges d’une IGP était prêt depuis une décennie. Elle ne pouvait plus s'approprier complètement le terme de Guérande, puisque la loi ne l'y autorisait plus. En revanche, le cahier des charges était discriminant à souhait. Impossible à suivre pour le petit paludier, sauf à se suicider économiquement. Même Trad y Sel, petit négociant récemment formé de l'union de plusieurs indépendants, était menacé par la discrimination.

Comment on se retrouve engagé dans 5 ans de lutte syndicale ?

Au syndicat des paludiers indépendants, on avait tendance à se mettre la tête dans le sable en disant, « le sel de Guérande existe depuis 2000 ans sans IGP, c'est pas demain que cela va commencer». Avant de partir à la réunion, je m'entends dire à Delphine : «Ce soir, je vais me faire déchirer au syndicat.» A la réunion, je me lève en disant : « Le train des appellations d'origine va partir, soit on le laisse partir et on les laisse tout faire contre nous, soit on monte dedans et on essaie de limiter la casse ». Le silence suit… tout le monde le savait déjà, personne ne voulait soulever le problème, comme si, le seul fait de le soulever, c'était déjà trahir. Et finalement je peux développer. « Une IGP serait la dictature de la coopérative. En revanche une AOP permettrait de différencier le sel du petit paludier de celui de la coopérative … » Et là, je ne m'y attendais pas mais je me suis mis tout seul dans l'engrenage. Ils ont répondu « Ok, tu t'en occupes ». Je m'attendais à ressortir déchiré mais soulagé d'avoir tenté. Je suis ressorti préoccupé et occupé pour plus de 5 ans.

La nouvelle entente des grosses structures

Le directeur du grand négociant m'invite assez vite à un entretien qui a eu le mérite d'être aussi court que clair : il soutient la coopérative, l'objectif étant d'éviter que les paludiers puissent vendre par eux-mêmes pour que sa société puisse acheter moins cher.

Il assumait le véritable objectif de l'IGP. Coopérative et Grand Négociant ont globalement revendiqué cet objectif double :

- protéger Guérande contre une banalisation comme cela est arrivé à la Provence pour les herbes ou à Dijon pour la moutarde,

- verrouiller les portes derrière eux et devenir les seules structures à même de mettre notre sel sur le marché. Les coopérateurs les plus radicaux s'attribuent le succès de Guérande et ne veulent pas que ce nom soit utilisé par d'autres, surtout pas par des petits indépendants

Le premier objectif qui, pour nous est légitime, se révéla être fallacieux. Aujourd'hui la coopérative va commercialiser une gamme de sel du monde (Vietnam en particulier) alors qu'en même temps, elle impose des quotas sur la fleur de sel à ses propres adhérents…

Résistance vigoureuse des indépendants

Les paludiers qui apportaient leur sel aux Salins du Midi n'étaient pas dupes, et ils firent front commun avec les petits indépendants et avec Trad y Sel. Un collectif "IGP NON MERCI" est né, réunissant plus de 100 paludiers sans aucun coopérateur, hélas. Cela a engendré plus d'une centaine d'oppositions officielles, ce qui reste un record.

Pourtant, le projet d'AOP a été balayé d'un revers de main avec la complicité de l'INAO, l'administration compétente pour les appellations d'origine. Le prétexte était "une incompatibilité technique": le sel ne serait pas adapté. L'avenir prouvait le contraire puisque le sel écossais obtenait une AOP, quelques années plus tard. (sel obtenu par évaporation de l'eau de mer grâce à une énergie fossile). Vous l'avez compris, la procédure ne sera pas jalonnée que de bonne foi. Et le pire c'est que moi-même, j'en ai fini par perdre la mienne.

 

B - LA BATAILLE DE CHIFFONNIERS

 

Les acteurs sur le ring

 

L’agriculture est comme un trépied, c’est confortable lorsque les trois pieds sont équilibrés : les coopératives, les indépendants et les négociants. La coopérative est indispensable si l’on veut aborder le marché des grandes surfaces. (Un mal pour un mal ?) Il faudrait juste qu’elle pense la même chose de nous.

La coopérative (un directeur et des coopérateurs).

(des coopérateurs sympas mais souvent peu impliqués) …

Les collègues paludiers de la coopérative aiment le métier autant que moi. La grande majorité a choisi ce métier par passion, pour le caractère physique du métier. En revanche, les réunions, les jeux de pouvoir ne les motivent pas. C’est un tort parce que les responsabilités sont parfois abandonnées aux plus manipulables, toujours honnêtes néanmoins. Une fois, un malhonnête s’est engouffré dans la brèche, et cela leur a posé des problèmes.

Il y a quand même quelques « radicaux ». Ils n’ont de radical que leur volonté d’hégémonie de la coopérative. Ils sont souvent trop jeunes pour avoir connu les heures difficiles du marais et ils sont en mal d’héroïsme. Comme en 1968, ils ont le défaut de mettre le signophile à gauche et de tourner à droite. Mais ils n’aiment pas tout ce qui n’est pas de la coopérative, surtout les indépendants. Les plus petits indépendants sont méprisés, les plus grands sont jalousés. Paradoxalement la haine ancestrale contre les Salins du Midi s’est déplacée contre les indépendants. Ce sont eux qui ont mené la procédure de l’IGP, bien « accompagnés » par le directeur commercial.

Les paludiers coopérateurs sont de bons collègues et parfois des copains. Les affinités ne sont pas toujours logiques. J’ai un ami chez les radicaux… (Masochisme intellectuel ?)

… x (directeur commercial 100% hors cliché)

Sortons du cliché de l’arriviste façon « méchant dans James Bond ». Si l’humeur de dogue auquel on arrache une dent est fréquente chez le paludier, le directeur commercial est authentiquement sympathique. J’en ai connu plusieurs dans chacune des grandes structures. Le commercial n'est pas dénué de valeurs humanistes. Pour ceux de la coopérative, le choix de cette structure témoigne d'une ambition saine ou d'une volonté de rompre avec les conseils d'administration d'actionnaires.

Le problème c'est que pour lui, tout n'est que jeu. Son travail est un jeu. Comme dans un jeu de plateau, tout ce qui respecte la règle est autorisé. Ce qui fait qu'il peut tenir un discours et son contraire sans avoir l'impression de mentir, vous affronter en réunion  puis vous proposer un café, vous faire un coup tordu et s'en vanter, comme mon gamin lorsqu'il me bat aux échecs. Le type même de vantardise qui témoigne d'une innocence et d'une humilité. Bref il est désarmant.

Au cours d'une réunion, je faisais part de mon plan B, ne pas rentrer dans l'IGP, en revendiquant l'origine de Batz-sur-Mer. La même semaine, la coopérative déposait la marque « Sel de Batz-sur-Mer ».

Elle a cherché à la déposer pour du sel mais n'a pu le faire puisque la marque aurait été générique. (On a le droit de déposer la marque Diesel pour une ligne de vêtement, pas pour du carburant. Ainsi, on n’a pas le droit de déposer la marque « Sel de Batz-sur-Mer » pour du sel de Batz.) Ils l'ont donc déposée pour de la moutarde(?) et des produits de la mer.

Peu importe, cela a failli fonctionner. Nous étions prêts à adhérer à l'IGP, la mort dans l'âme. Ce n'est que grâce à un copain qui a travaillé à l'INPI que j'ai réalisé la vacuité de ce dépôt de marque et que je suis revenu au projet de changer d'appellation. J’imagine le directeur commercial content de lui, sans haine aucune.

Lui joue innocemment, et nous, nous avons les tripes sur la table…

 = une coopérative moyenne

Pour l’instant, rien à voir avec certaines énormes coopératives maraîchères, qui relèvent des multinationales et contre lesquelles certains collègues de Nature et Progrès doivent développer des stratégies de résistants de 1941. Rien à voir non plus avec la paisible fruitière de montagne.

 

Un négociant qui nous échappe.

Les Salins du Midi sont insaisissables. Pendant certaines périodes, comme en ce moment, ils sont acheteurs, morts de faim et semblent réellement porter la valeur du sel artisanal (Ils sont aussi adhérents de Nature et Progrès).

D’autres fois, ils laissent ostensiblement fondre sous la pluie le sel qu’ils viennent d’acheter, jettent littéralement des paludiers apporteurs, les laissant sans sans ressources et quelques fois sans marais. Souvent ils cultivent des marais qui sont propriété des Salins du Miidi.

Difficile de les attaquer frontalement aussi, ce sont les clients de mes collègues.

Nous, les indépendants, sommes trop farouchement indépendants,

Pas individualistes pour autant. Nous formons volontiers des équipes de travail (rarement moi néanmoins), donnons volontiers des coups de main, groupons des achats de fournitures, prêtons des outils. En revanche, il est très dur pour nous d’être copropriétaires d’outils ou de monter des structures communes. Nous voulons avoir notre destin entre nos mains sans dépendre de personne. En même temps, n’y aurait-il pas un oxymore dans une « coopérative de conditionnement des indépendants » comme nous y avions pensé à un moment ?

 

Le cahier des charges, une petite victoire

Le premier projet de cahier des charges était une caricature : impossible de le respecter sans investissements de caractère industriel. C'était un copier-coller du "process" de la coopérative.

 

Les enquêteurs et les responsables de L'INAO, déjà en contact avec notre avocat, préfèrent le faire infléchir pour qu'il devienne plus abordable pour les indépendants. Au final, le cahier des charges insiste plus sur une exigence de qualité que sur l'obligation de procéder à des traitements physiques nécessitant des moyens industriels lourds. C’est notre modeste petite victoire.

 

En revanche la coopérative refuse la mention " sel chauffé" lorsque c'est le cas. Le chauffage sur lit fluidisé permet à la fleur de sel de passer dans les systèmes de conditionnement. Mais ce chauffage altère la qualité de la fleur. C'est peut-être pour cela qu'ils peinent à la vendre. C'est dommage, parce que derrière, c'est toute la fleur de sel qui passe pour un caprice de hipster.

 

Jeu de médias, jeux d'avocats… pugilat

Très vite, d'un côté comme de l'autre, nous avons ensemble décidé de ne plus répondre aux médias dont certains se délectaient de nos querelles en soulignant les propos les plus vexatoires. Cela portait sur l'ambiance au sein même du marais, où, d'habitude, toute querelle cesse au profit des relations de voisinage fonctionnelles et très souvent cordiales.

 

Le jeu de nos avocats est plus utile mais subtile et sournois. Au premier rendez-vous, ils sont très optimistes, puis au fur et à mesure que le procès se rapproche, ils demandent de plus en plus de travaux de recherche et de mobilisation. Ils arrivent à faire en sorte que vous vous sentiez responsables d'un éventuel échec. Néanmoins leur présence et la perspective d'un jugement amènent les administrations à plus d'objectivité. Les jeux de lobbying sont moins efficaces.

Les avocats nous ont quand même amenés à essayer un argument fallacieux.

 

L'aire géographique .

Elle est aberrante pour le néophyte puisqu'elle permettrait de faire du sel de Guérande au bord du canal de Nantes à Brest... (Il s'agit de permettre aux paludiers de pré-stocker leur fleur de sel chez eux sans sortir de l'aire géographique.)

Mais ce qui était susceptible d'attirer l'attention du juge, c'était la discontinuité entre deux zones de production : celle du bassin de Batz-Guérande et celle du bassin du Mes. Nous savons que les sels sont les mêmes. Mais il y a plus de différences géographiques entre le Mes et Batz-Guérande qu'entre Batz-Guérande et Noirmoutier.

En face, ils ont eu peur. Ils savaient l'argument juridiquement pertinent et une grande partie du sel de la coopérative vient du Mes. De plus ils mélangent dans leur stock, le sel des différents bassins. Ils ont travaillé pour montrer l'historicité de l'appellation Guérande pour le Mes. De notre côté, nous étions mal dans notre peau d'utiliser de tels arguments. Nos avocats étaient fins comme du gros sel. Ils ne savaient faire qu'une seule chose : contester une aire géographique. Ils ont donc abusivement essayé d'amener le juge sur ce terrain.

Il est vrai que nos adversaires ne se sont absolument pas privés non plus. « C'est le jeu » nous disent-ils. Mais nous ne jouons pas !

 

Le jugement : une défaite utile

 

Le jeu était inégal, ils avaient des moyens considérables et des copains à tous les étages de l'administration quand ils ne les occupaient pas eux-même au sein de l'INAO. Nos chances étaient faibles. Personnellement je n'étais pas pour aller devant le juge. Les collègues ont jugé que même si nos chances étaient faibles il fallait les tenter. Ils avaient raison au vu des difficultés qu'ils rencontrent aujourd'hui. Il fallait avoir tout tenté.

Certains « considérants » du Conseil d'Etat qui s'appuient simplement sur la notoriété existante, relèvent autant d'un comptoir de bistrot que d'une cour. Cela donne l'impression qu'il ne s'est pas fallu de grand chose pour que le Conseil d'Etat nous donne raison. J'espère et je pense que le Conseil d'Etat est resté en dehors des réseaux d'influence.

Il n'était pas possible de faire appel. En France, le Conseil d'Etat juge en premier et en dernier recours.

 

Pas besoin d'être grand stratège pour comprendre qu'il y des défaites utiles : les collègues qui sont aujourd'hui sous l'IGP Guérande sont sous un joug, pas sous une guillotine.

 

IV - DE GUERANDE A BATZ-SUR-MER


A - FINALEMENT POURQUOI NE PAS AVOIR INTEGRE L'IGP GUERANDE ?


Les raisons attendues ne sont pas forcément les bonnes.

Ce n'est pas de la fierté.

Nous ne sommes pas sans fierté mais nous savons perdre. C'est indispensable lorsque l'on fait de sa passion son métier.

Ce n'est pas le cahier des charges.

Nous respectons celui de Nature et Progrès qui est proche, plus exigeant même pour ce qui concerne l'environnement. (Hélas, Nature et Progrès est également permissif sur le chauffage et sur les techniques industrielles de conditionnement du sel) 

Ce ne sont pas les coûts…

bien qu'ils soient très inéquitables entre les coopérateurs et les autres. Ce serait environ 2 fois plus cher que Nature et Progrès, qu'il n'est de toute façon pas question de remplacer. Il s'agirait de 2% du chiffre d'affaires. Ce serait lourd, certes, mais pas inenvisageable dans le cadre d'une démarche constructive.

 

Les vraies raisons

Le déficit démocratique.

Le cahier des charges comme les coûts ne sont pas gravés dans le marbre. Tout cela est géré par un organisme spécifique : APROSELA. Dans cet organisme, il y a deux collèges au pouvoir égal : celui des producteurs et celui des négociants.
- Dans le collège des négociants, la coopérative a plus des 2/3 des voix,
- Dans le collège des producteurs les coopérateurs ont plus des 2/3 des voix.

Par ce jeu de collège, la coopérative peut imposer sa décision contre tous les producteurs, indépendants ou non. APROSELA est moins démocratique que la coopérative elle-même. Hors, à la coopérative, de plus en plus de décisions sont prises en Conseil d'Administration sans l'avis de l'Assemblée Générale. Et le Conseil d'Administration se voit offrir des séminaires...

Le manque de confiance.

Intégrer l'IGP, c'est se mettre sous le tableau de bord de la coopérative : l'IGP lui fournit toutes les informations (stocks, chiffre d'affaires…)  et lui permet d'avoir des curseurs pour alourdir à souhait les charges techniques et financières des indépendants. Ce qu'ils ne se privent pas de faire, sans attendre que les indépendants fassent envie aux coopérateurs.

Pour intégrer l'IGP, il nous aurait fallu être en confiance.

Choisir ses combats

Aujourd'hui, nous avons un peu de recul et il semble que nous avons pris la bonne décision. Nous sommes seulement une petite dizaine à être restés en dehors, uniquement parmi ceux qui vendent tout leur sel par eux-mêmes. Les autres se sont souvent vus imposer leur adhésion par leur négociant. Les indépendants dans l'IGP ne survivent qu'au prix d'éternelles procédures qui constituent la plus grande occupation du Syndicat des Paludiers Indépendants.

L'IGP m'a occupé 5 ans. J'ai maintenant envie de choisir mes combats. Ce ne sera pas celui-là.

Courage, fuyons l'IGP!

Il fallait un peu de courage parce que nous aurions pu penser que, sans la mention Guérande, notre sel se serait moins bien vendu. Mais il n'en est rien.

Le risque était calculé puisque nous étions en souci par rapport à l'amenuisement de nos stocks. Aujourd'hui, deux bonnes saisons nous ont permis de reconstituer un stock raisonnable mais nous ne sommes toujours pas en mesure de prendre un nouveau gros client. Nous n'avons pas de problème pour écouler notre sel.

 

 

B - BATZ SUR MER : PLUS D'AUTHENTICITE

 

Il suffit quelques fois de fuir l'enfer pour parvenir au bonheur.

Cela se sait peu mais, du point de vue du cadastre, il y a plus de marais salants sur Batz que sur Guérande et tout Batzien regrette de voir son sel s’appeler "Guérande". Donc nous sommes très bien accueillis localement. Certains clients nous font même des scènes pagnolesques sur le marché. "Ce n'est pas du Guérande ça mon gars, c'est du Batz! Celui-là, tu ne le trouves pas en grande surface."

Nous sommes trois familles de paludiers à faire du sel de Batz. Aucun d'entre nous n'abuse sur les prix, et nous n'avons aucun problème pour écouler notre sel. L'un d'entre nous écoule même l'essentiel de son gros sel à l'international.

 

Nous sommes libres,

Nous n'avons d'autre loi que la loi.
Pour notre part, nous adhérons à Nature et Progrès, mais c'est une adhésion de conviction.

La démarche est constructive et ne cache aucun jeu de concurrence. La charte Nature et Progrès encourage l'échange technique et rejette les notions de secrets de fabrication. Nous sommes dans une logique de collaboration. Nous sommes tellement ouverts que même la coopérative et la société Bourdic les Salins du Midi sont adhérents. Les apporteurs de ces structures sont néanmoins trop peu impliqués. Encore une fois, la grande majorité d'entre eux adhère par obligation, parce que leur structure de négoce le demande.

 

La liberté est fragile.

Nous sommes peu connus et nous n'y tenons pas.

Il n'y a aucun problème à ce que du sel de Batz soit appelé "sel de Batz". Mais, comme Guérande au début, rien ne protège le sel de Batz d'une banalisation qui consisterait à appeler « sel de Batz », du sel qui vient de n'importe où.

De plus, le jour où on nous trouvera en grande surface, les velléités de cahiers des charges commenceront...

En attendant, puisque nous n’avons plus le droit de mentionner Guérande disons que

« Le sel de Batz n’est pas du sel de G. C’est le point G du sel… »

(On fait ce qu’on peut… il y en a qui dépose des marques avec moins que ça !)

 






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GAEC LA SALORGE ROUGE - Pascal et Delphine DONINI, paludiers - route des Marais, KERVALET - 44740 BATZ-SUR-MER - tél :  06 32 44 71 38